
La tendance vintage est à la mode et les univers horloger et automobile partagent bien plus que la passion de la belle mécanique. Dans bien des cas, ces deux mondes usent des mêmes ressorts psychologiques pour atteindre leur public et inciter les amateurs à céder à la tentation. La preuve avec ce parallèle dans l’interprétation que font les horlogers et les constructeurs de la tendance vintage.
Dans un monde où tous les moyens sont bons pour pousser à la consommation, les marques sont à l’affût des meilleures méthodes pour accrocher les clients potentiels. Quand les objets de luxe ou, tout du moins, les objets statutaires affichent des prix de plus en plus exorbitants, il faut savoir instiller l’idée, chez ceux qui pourraient se les offrir, que leurs choix sont dictés par la raison. Et l’exercice s’avère des plus ardus. Nous avons tous appris à nous méfier de la surconsommation, à réfléchir aux sens et aux valeurs à donner aux choses. En cette période où les possibilités économiques sont loin d’être illimitées, les as du marketing ont du pain sur la planche pour faire craquer les indécis.
On dit souvent que les mondes horloger et automobile sont proches l’un de l’autre. Si la mécanique de haute volée titille manifestement les mêmes synapses, le rapprochement entre les deux mondes ne s’arrête pas là. Ainsi, les horlogers ne sont pas les seuls à avoir usé de l’esprit de collection pour attirer des amateurs. Lesquels clament leurs grands dieux qu’ils ne tombent dans le panneau, que leur éducation leur permet de résister à ces stimuli faciles. Ne leur en déplaise, plus on est éduqué, plus l’envie de posséder un objet de qualité, valorisant et ayant une longue durée de vie, est forte. Et aujourd’hui, le monde de l’automobile est aussi partagé que l’est celui des montres.
Il y a d’un côté les produits utilitaires, les modèles destinés à rendre des services au quotidien. A la berline familiale du secteur automobile réponds la montre à quartz de bonne facture dans l’horlogerie. Et puis il y a les instruments qui, telles les montres Richard Mille, Max Busser ou Hautlence, sont édités en toute petite série, à la manière de certains concepts car présentés lors des salons internationaux. D’ailleurs les acheteurs de ces références horlogères sont, pour la plupart, passionnés ou propriétaires de ces voitures d’exception. Tag Heuer, qui joue à fond sur ce parallèle, entend atteindre le public sensible à l’automobile. Avec une Monaco V4, la marque s’adresse à un amateur de voiture de sport ; avec un concept comme la Pendulum, elle vise l’acheteur d’une Tesla (voiture électrique) ; avec le chronographe Tag Heuer Monaco, le fabricant espère toucher le fanatique de voitures de sport contemporaines affichant ces lignes un brin vintage, qui lui garantiront que sa voiture comme sa montre ne prendront pas une ride…

Tag Heuer Carrera Pendulum concept : le premier mouvement sans spiral
C’est vrai, les liens entre ces deux univers existent bel et bien. Ainsi, un porteur de montre vintage va chercher à retrouver dans sa voiture des lignes inspirées de l’ancien, à même de lui garantir que son véhicule sera considéré au fil des ans comme un produit intemporel, un bijou intemporel à défaut d’être un collector. En un sens, si vous aimez la Mini ancienne parce qu’elle évoque votre jeunesse, vous aimerez la version « remasterisée » par BMW qui conserve le côté glamour et les formes rondes de l’original caractéristique de ces années de folle insouciance. Pour le reste, tout est différent, de la motorisation à la taille de l’habitacle. Mais c’est bien joué. Le principal est que l’esprit demeure et la filiation entre le modèle d’origine et cette nouveauté survitaminée est bien là. Le plus drôle, c’est que la catégorie socioprofessionnelle qui achète ce type de voiture est sensiblement la même que celle qui achetait la Mini il y a cinquante ans. Les modes sont donc immuables, juste adaptées à l’environnement.
Et les montres suivent le même mouvement. Dans la majorité des cas, et en dehors de quelques instruments déjà forts bien dotés, telles les références Panerai dont les créations historiques étaient déjà de belle taille, la plupart des montres rattachées à l’univers vintage ont connu une croissance en taille non négligeable et une remotorisation. Jaeger-LeCoultre a fait cette démarche avec la Reverso. La version en taille classique, que l’on considère pratiquement comme une pièce féminine, a été supplantée chez les consommateurs par la version grande taille. Cette référence s’avère plus adaptée aux poignets des hommes actuels qui sont légèrement plus grands que ceux des années 30. A suivi une autre version encore plus imposante. Maintenant, les proportions demeurent parfaites au point de faire oublier cet embonpoint.
Il en va de même avec la Mini. La production actuelle semble adaptée au parc automobile. Si on la compare au modèle historique, la différence de mensurations saute aux yeux. Constat identique pour les séries Z8 de chez BMW où le lien avec la fabuleuse 508 est évident, mais en bodybuildé. Même Porsche n’a pas échappé à la règle de la croissance. L’excuse n’est pas tant que la population mondiale a gagné quelques centimètres en taille ces cinquante dernières années, mais qu’il a fallu adapter les voitures au cahier des charges en matière de sécurité. Celui-ci a imposé de réviser à la hausse la taille des carrosseries pour leur faire supporter les tests crash, placer les zones de déformations progressives… Jadis, les voitures ne présentaient pas toutes ces sécurités et étaient donc plus petites. Si un constructeur s’avisait aujourd’hui de proposer un bolide inspiré du passé en lui conservant les mensurations d’antan, il y a fort à parier qu’elle lui resterait sur les bras.
Le constat est identique pour les montres. Baume et Mercier s’est inspiré de l’un de ses plus beaux instruments du musée pour créer la collection Clifton, et propose aux amateurs avertis une pièce de 42 mm en or rouge, le modèle Baume et Mercier Clifton 1830. On est donc assez éloigné de la collection standard proposée en 39 mm de diamètre et encore plus loin du garde-temps initial dont le diamètre n’excédait pas les 38 mm. La maison d’horlogerie, qui a fait un excellent salon avec cette nouvelle collection, a retenu un sublime calibre mécanique à remontage manuel de manufacture pour équiper son produit fer de lance de la gamme. Transposé dans l’univers automobile, cela donnerait un véhicule qui s’inspire d’un moteur ancien réputé pour son excellence, mais proposé dans une version modernisée et largement fiabilisée. C’est la démarche de Porsche dont on sait la qualité de la motorisation, et celle de BMW dont les blocs moteurs de légende entretiennent la notoriété de la marque.
Les marques automobiles et horlogères ont donc saisi qu’il existe une clientèle pour les produits modernes dont les lignes s’inspirent de références ayant écrit la légende des entreprises concernées. On se doute que le porteur d’une Patek Philippe Nautilus contemporaine n’ira pas du côté des montres de collection. Son but est de profiter de la notoriété du modèle sans avoir à supporter un entretien que requiert un garde-temps un peu ancien. Il faut savoir qu’avec une vraie montre du passé, tout ne se fait pas ! Et tout le monde n’aura pas réflexe d’enlever sa montre avant de passer ses mains sous un robinet. Même problématique pour les voitures de collection qui exigent un pilotage adapté. Ainsi, tous les collectionneurs ne sont pas disposés à faire une pause toutes les deux heures dans un petit relais ou à s’interdire l’autoroute sous prétexte qu’elle va esquinter le moteur de leur véhicule de collection. Les modes de vie ont évolué et les clients veulent le plaisir sans les contraintes. Ainsi, pour la plupart des amateurs de voitures et de garde-temps de collection, la notion de plaisir s’inscrit dans l’image véhiculée et les sensations ressenties. Et il sera plus facile à un consommateur de se dire collectionneur de voitures ou de montres avec un modèle inspiré de l’ancien qu’avec un produit de pure série…
Ces produits d’inspiration vintage (certains disent « rétrofuturiste »), issus de deux univers différents, partagent bien des points communs et pas seulement en termes de vocabulaire mécanique. La psychologie de ces amateurs qui craquent sur ces merveilles est finalement identique. Rien d’étonnant à voir un pilote de 911 Porsche porter une Tudor Black Bay ou une Rolex Oyster Perpetual Submariner, une conductrice de Mini avoir au poignet une Jaeger-LeCoultre Reverso et un conducteur de Z8 BMW arborer au bras un chronographe Tag Heuer Monaco, une pièce de la série Panerai Luminor ou une Audemars Piguet Royal-Oak. C’est même dans la logique des choses, puisque cela relève d’une même conception de l’univers de la consommation.